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Burundi : Le directeur général de l’ARCT sur le marché des communications électroniques dans ce pays

Dr. Samuel Muhizi, directeur général de l'ARCT

En bref ::::: In a nutshell

Le marché des communications électroniques est libéralisé au Burundi. Cela permet la concurrence saine et loyale avec la promotion des services de qualité. Il compte actuellement 64% des utilisateurs des réseaux mobiles, 22% des utilisateurs de l'Internet et plus de 57% des utilisateurs des services financiers. Mais le défi majeur est celui du suivi du cadre légal qui doit s'adapter au rythme de l'évolution technologique.

L’optimisation du marché des communications électroniques repose sur une stratégie qui  vise l’amélioration de l’accès aux biens et services numériques dans l’ensemble du territoire et la création des conditions propices aux réseaux numériques et aux services innovants. Le Burundi semble avoir embarqué dans cette voie par l’exploitation de son potentiel malgré les défis révélés dans le décryptage de ce sujet avec le régulateur. La libéralisation du marché des communications électroniques intervenue depuis 1997 au Burundi a laissé la place à la concurrence saine et loyale et la promotion des services de qualité.

Mais aussi la politique de protection des consommateurs ; des intérêts de l’Etat et l’accompagnement des investisseurs a suscité l’intérêt des opérateurs à venir investir dans le secteur des communications électroniques. Par rapport à la population burundaise, le marché actuel des communications électroniques compte 64% des utilisateurs des réseaux mobiles, 22% des utilisateurs de l’Internet et plus de 57% des utilisateurs des services financiers. TIC-ACTUALITES vous laisse découvrir les explications détaillées sur ce marché telles que  fournies par son invité, le directeur général de l’Agence de régulation et de contrôle des télécommunications (ARCT), Dr. Samuel Muhizi, lors de son interview, le vendredi 27 septembre 2024 à Bujumbura.

TIC-ACTUALITES : Monsieur Dr. Samuel Muhizi, vous êtes directeur général de l’Agence de régulation et de contrôle des télécommunications, ARCT. Quelle est la mission de l’ARCT ?

Dr. Samuel Muhizi : L’ARCT est une institution publique à la fois en charge de la protection des consommateurs, de la protection des intérêts de l’Etat en ce qui est de l’exploitation du secteur des communications électroniques mais également en charge de la protection et accompagnement des investissements dans le secteur des communications électroniques au Burundi.

TIC-ACTUALITES : Quel est l’état actuel du marché des télécommunications au Burundi en termes d’opérateurs, de consommateurs, de concurrence, de l’efficacité des services, de la tarification de services etc. ?

Dr. Samuel Muhizi : Actuellement il y a trois opérateurs des réseaux mobiles (Onatel, Viettel Burundi sa, et Econet Leo) et sept fournisseurs d’accès Internet (Usan, Cbinet, Lami Wireless, NT Global Solutions, Spidernet, Bbs et Starlink Services Burundi). Mais aussi nous avons d’autres exploitants comme les radiodiffuseurs, les télédistributeurs ainsi que d’autres opérateurs qui exploitent des services à valeur ajoutée dont les services financiers numériques. A l’heure où je vous parle, par rapport à la population burundaise, le marché des communications électroniques compte 64% des utilisateurs des réseaux mobiles ; 22% des utilisateurs de l’Internet mais aussi plus de 57% des utilisateurs des services financiers numériques. Donc, comparativement aux autres pays, on est un peu en retard car notre marché n’est pas exploité à juste valeur.

TIC-ACTUALITES : En tant que régulateur et contrôleur des télécommunications, avez des moyens techniques comme les outils de contrôle de la qualité des services des opérateurs et d’autres ?

Dr. Samuel Muhizi : Normalement en matière d’outils de contrôle et de régulation, il y a deux volets qu’il faut regarder. D’abord, il faut voir le cadre réglementaire constitué par des textes de lois et d’autres textes connexes. Ensuite, il faut regarder le volet technique qui comprend les équipements de de contrôle, l’ARTC dispose des textes de base définissant les modalités d’exploitation du secteur. Néanmoins, le marché des télécoms au Burundi comme ailleurs évolue rapidement et on se retrouve souvent avec des cadres légaux réglementaires qui ne suivent pas le rythme de l’évolution technologique et se retrouvent déphasés avec la dynamique du marché. Dans ce cas on a constamment besoin de mettre à jour le cadre légal réglementaire qui comprend les lois et les lignes directrices. La loi n°1/22 du 22 août  portant Code des communications électroniques et postales récemment promulguée vient impulser la mise en place des outils juridiques adaptés. En  ce qui est du contrôle technique, l’ARCT dispose de certains équipements qui doivent être mis à jour aussi compte tenu de l’évolution perpétuelle des technologies numériques. Actuellement nous disposons des outils de contrôle de réseaux, de fréquences. Nous sommes en cours d’installation et mise en exploitation des outils de contrôle de qualité de services. Ces équipements vont nous permettre d’assurer de manière continuelle la surveillance des réseaux et services de disponibilité de chaque opérateur. D’autres outils techniques de contrôle du respect des engagements tarifaires existent pour ne citer que ceux-là.

TIC-ACTUALITES : La licence d’exploitation des télécommunications autorise un opérateur à fournir des services de télécommunications ou à exploiter des installations de télécommunications. Sûrement que le manuel sur la réglementation des télécommunications au Burundi en dit long. Qu’est-ce que l’investisseur  doit remplir pour obtenir une licence ?

Dr. Samuel Muhizi : La licence pour l’exploitation spécifique des réseaux mobiles est administrativement exigeante. L’opérateur doit se conformer aux dispositions du décret n°100/97 du 18 avril 2014 portant fixation des conditions d’exploitation du secteur des communications électroniques. Non seulement la licence s’étale sur quinze ans en fonction des investissements qui doivent être consentis pour monter le réseau, mais également il faut des capacités techniques et financières adéquates. Le dossier technique de l’investisseur doit prouver qu’il a une expérience avérée et son projet doit démontrer ses capacités de couvrir tout le pays. Il doit aussi démontrer qu’il a des capacités financières souhaitables. Il doit disposer des documents fiscaux qui permettent de s’assurer de ses capacités financières. L’investisseur doit présenter des plans d’engagement social et le projet doit comporter l’analyse de l’impact social et la protection de l’environnement. Un cahier des charges est assigné à chaque opérateur avant l’obtention de sa licence pour exploitation.

TIC-ACTUALITES : Fondamentalement, le régulateur des télécommunications a pour mission d’autoriser l’arrivée de nouveaux opérateurs en leur octroyant des licences. Il brise en fait les barrières qui entravent l’entrée de ces opérateurs sur le marché. Qu’en est-il au Burundi ?

Dr. Samuel Muhizi : Au Burundi, le marché des communications électroniques a été libéralisé depuis 1997 pour l’ouvrir aux nouveaux opérateurs. Normalement le motif d’ouvrir le marché est pour permettre une concurrence saine, loyale mais également pour promouvoir les services de qualité des opérateurs. En octroyant les licences, l’ARCT s’assure d’abord du respect de la loi, la protection des consommateurs, des opérateurs eux-mêmes pour les accompagner dans le développement de leurs projets.

TIC-ACTUALITES : Le développement du marché des télécommunications nécessité la possession des ressources souvent limitées en terme du spectre des fréquences. Avez-vous des bandes de fréquences pour de nouveaux opérateurs qui viendraient investir au Burundi ?  

Dr. Samuel Muhizi : Comme je l’ai déjà dit, le marché des télécommunications est dynamique. Les bandes des fréquences utilisées hier peuvent ne pas être les mêmes bandes de fréquences qu’on peut utiliser aujourd’hui pour les  mêmes services. A cela, l’ARCT a les ressources nécessaires. Nous n’avons pas une très grande population et pour cela les ressources pour la gestion du trafic généré par l’exploitation des services télécoms par cette population, notamment les fréquences sont disponibles. Tous les opérateurs ont des ressources non seulement en fréquence mais aussi en numérotage suffisant pour offrir leurs services. Il leur faut cette fois-ci investir en équipements adéquats pour l’exploitation optimale de ces ressources. Néanmoins, on remarque que la bande FM à Bujumbura est de plus en plus saturée. C’est un phénomène qui arrive même dans d’autres pays en fonction de l’évolution des services des  radiodiffusions sonores. Nous avons déjà entamé les modalités de passage de l’analogique au numérique pour y remédier ; cela nous permettra de libérer certaines fréquences. Egalement, nous avons recommandé aux nouvelles radios qui s’installent de faire recourt aux autres techniques de transmission de signaux  comme les faisceaux hertziens pour une optimisation de l’utilisation des fréquences.

TIC-ACTUALITES : Là encore pour ceux qui ne savent pas. D’où est-ce que vous trouvez ces ressources servant aux communications numériques ?

Dr. Samuel Muhizi : Normalement les ressources en fréquences sont comme l’or. Ces ressources sont dans l’air et non dans le sous-sol comme l’or. Seulement ces ressources sont limitées. Ce sont des chiffres particuliers qui doivent être coordonnés avec les pays frontaliers. Les mêmes ressources en fréquences utilisées au Burundi sont également utilisées dans les pays frontaliers. Ces ressources sont coordonnées de manière que chaque technologie utilise sa bande de fréquence. A l’ARCT on a par exemple développé ce qu’on appelle le Tableau national de gestion des fréquences qui reprend la description des modalités de gestion des différentes bandes de fréquences. De la même manière, nous disposons d’un tableau national de numérisation pour la gestion des ressources en numéros et codes associés aux réseaux et services.

TIC-ACTUALITES : Mais dans l’entretemps, il y a l’Union internationale des télécommunications qui doit entrer dedans pour aider à la coordination dans l’exploitation des fréquences non ?

Dr. Samuel Muhizi : Effectivement, comme je l’ai dit les mêmes bandes de fréquences utilisées ici au Burundi sont les mêmes bandes utilisées dans les autres pays. Mais également pour assurer les communications internationales, il y a l’organe international qui est l’Union internationale des télécommunications, UIT qui non seulement fixe les règles de gestion mais également les normes applicables pour les communications tant nationales qu’internationales. En ce qui est de la gestion des fréquences, c’est la même chose que la gestion des numérotages. En bref, l’UIT joue un rôle essentiel dans la facilitation de la coopération internationale en matière des télécommunications.

TIC-ACTUALITES : Avez-vous de politiques de mise en œuvre pour protéger les droits des usagers notamment les droits à la protection de la vie privée ?

Dr. Samuel Muhizi : Parmi les missions de l’ARCT, il y a la protection du consommateur. Dans ce volet il y a d’autres sous domaines qui doivent être tenus en considération. Dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications, nous assurons la protection de la vie privée mais également celle des données à caractère privé des utilisateurs. Pour cela, dans les cahiers des charges de chaque opérateur, il y a des obligatoires à la protection des données personnelles mais aussi à la protection de celles jugées personnelles pour tous les exploitants. A cela, l’ARCT s’assure que les données sont gérées de manière conforme à ces obligations. A côté de cela il y a des cadres réglementaires qui sont prévus à être mis en place pour non seulement cadrer mais également détailler pour mieux éclairer aussi quelles sont les données qui sont jugées personnelles, qui sont jugées publiques et dans quelles modalités on peut avoir accès à ces données.

TIC-ACTUALITES : Tant qu’on y est encore, l’Union internationale des télécommunications a rendu public un rapport contenant les résultats de l’évaluation « Indice mondial de Cybersécurité 2024 » et le Burundi a été classé parmi les derniers pays africains qui ne sont pas parvenus à satisfaire cinq piliers dont les mesures légales ou cadre légal, les mesures techniques, les mesures organisationnelles, le développement des capacités et la coopération pour pouvoir justement optimiser la performance du cybersécurité. Pourquoi cet échec du Burundi ?

Dr. Samuel Muhizi : Comme je l’ai dit, le secteur des télécommunications au Burundi n’est pas encore exploité à juste valeur. On n’est pas encore arrivé à des niveaux d’utilisation des TIC comme dans d’autres pays. On arrive à découvrir qu’il y a des aspects qu’on n’a pas encore ouvert en matière non seulement de réglementation mais aussi en matière de mise en place des cadres institutionnels adaptés. En ce qui est de cybersécurité, nous avons déjà certains cadres qui sont déjà mis en place dont la loi n°1/10 du 16 mars 2022 portant prévention et répression de la Cybercriminalité au Burundi mais on n’a pas encore atteint un niveau international pour être reconnu officiellement sur le plan international. Nous avons déjà entrepris des projets de mise en place des centres d’intervention pour les cas d’incident informatique (CERT), des centres qui pourront analyser l’écosystème numérique et informer régulièrement les utilisateurs, des menaces, des fraudes comment y faire face. Nous avons déjà commandé certains outils techniques d’analyse des attaques informatiques. Les CERT assureront la protection des systèmes informatiques et des données contre les cybermenaces, contribuant ainsi à la sécurité globale  de l’infrastructure numérique. Il ne reste que la mise en place d’un cadre institutionnel pour répondre à ce besoin.

TIC-ACTUALITLES : Les experts des télécommunications soulignent une condition importante que le régulateur doit remplir. C’est son indépendance à l’égard du gouvernement. Souvent, le degré de cette indépendance varie d’un pays à un autre. Quelle est la pratique au Burundi ?

Dr. Samuel Muhizi : En matière d’indépendance, il y a deux aspects qu’il faut tenir en considération. Il y a l’aspect financier ou l’indépendance financière, parce si tu n’es pas indépendant financièrement vous comprenez la suite : c’est la dépendance. Il y a également l’indépendance politique. Le régulateur doit être indépendant politiquement. Donc l’institution ne doit pas être assimilée à des institutions qui militent pour des intérêts politiques mais doit être au service de l’Etat, au service des utilisateurs et au service des fournisseurs des services. A cela il doit établir des règles transparentes et non discriminatoires pour l’exploitation et la consommation des services.

TIC-ACTUALITES : Donc vous voulez dire qu’ici au Burundi vous ne subissez pas des pressions de la part des pouvoirs publics hiérarchiques ?

Dr. Samuel Muhizi : Nous sommes indépendants à ce niveau, sauf sur le plan financier. L’ARCT fonctionne sur les subventions annuelles allouées du budget général de l’Etat.

TIC-ACTUALITES : Merci beaucoup Monsieur le directeur général d’avoir répondu à nos différentes questions de manière claire et précise.

Dr. Samuel Muhizi : C’est moi qui vous remercie plutôt.